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Les chroniques de Flore:

Du côté de la vie

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CHRONIQUE 12:

LES CAHIERS AU FEU... MAIS PAS LES PROFS AU MILIEU !

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Ecrire, c'est mettre de l'ordre dans sa vie afin d'y voir plus clair. Dépoussiérer le fond de son âme pour y découvrir du nouveau sur soi.. .en dévoilant une grande part de soi. Savonner et rincer à grands coups de raclette pour chasser les blessures, les regrets, les moments difficiles. Aérer et alléger sa vie. Un grand ménage intérieur pour que le soleil puisse atteindre la part oubliée ou méconnue de soi. Ouverture des fenêtres sur toutes ces saisons qui se sont succédé et celles à venir.
Après ce nettoyage, je suis accoudée à la fenêtre de ma maison intérieure face à un immense jardin fleuri, satisfaite du travail accompli. Je respire l'odeur du printemps à l'écoute du jardin habité. Le silence abrite tant de vie, l'invisible cache des trésors insoupçonnés.
Aujourd'hui, une de mes collègues m'a dit :
-Léa, tu travailles tout le temps ! On dirait une abeille.
J'aime bien les abeilles. Ce sont les fées du jardin. Instinctivement organisées, elle vivent au fil du temps sans se poser de questions, pour le bien-être de leur communauté en ayant chacune leur place. Petites et pourtant capables de grandes choses que la nature pourrait nous enseigner à nous, les humains ! Un microcosme, une société qui peut très bien vivre indépendamment des hommes. Et nous, pourrions-nous exister sans elles ? La réponse est...non !

Plus que deux jours avant les grandes vacances et déjà un parfum de départ. Ah, ces vacances, tant critiquées et pourtant si enviées, jalousées. Chaque fois, c'est le même cinéma, une mise en scène visant à nous culpabiliser, à minimiser notre travail.
-Encore en vacances !, me dit un infirmier, et deux mois en plus !
Sous-entendu: Vous ne faites quand même pas grand chose !
Je lui réponds :
-Pourtant, ce n'est peut-être pas pour rien que tu n'es pas enseignant .
-Ah, non, merci, pas pour moi !, me répond-il en s'échappant.
Et voilà ! Encourons-nous ! Cela me fait toujours rire.
Heureusement que nous avons ces congés sinon, je ne sais pas, personnellement, comment je tiendrais le coup moralement. D'ailleurs, une de mes collègues ne va pas bien du tout depuis un moment. Un trop plein de mauvaises nouvelles, un sentiment d'impuissance, plus la force de donner, de réconforter. Mon coeur se serre.

Je passe ma tête au hublot de la chambre de Junior. 
-Tu peux venir !, me crie-t-il comme d'habitude.
Au moment où j'ouvre la porte, il sursaute dans son lit. Emballé dans son tablier blanc à fleurs bleues, il replie les jambes sous le tissu.
-Qu'est-ce qui t'arrive ?
-Je n'ai pas envie que tu voies mes jambes et mes fesses poilues.
-Quoi ?, lui dis-je en riant. 
Que va-t-il encore me raconter ?
-Chez nous, tous les hommes de la famille sont comme ça.
Nous rions. Puis, il change de conversation.
-Je pensais que tu ne viendrais pas aujourd'hui.
-Pourquoi ?
-L'école est finie.
-Et alors ? Je ne peux pas venir te voir ?
-Si. ..J'aime bien quand tu viens. 
Je me sens émue.
-On joue ?
Que répondre à un enfant qui vous demande de jouer ? Jouer, c'est le propre de l'enfance. On peut au moins leur laisser ça !
Un peu plus loin, la chambre de Bilal est toujours dans le noir. Je passe mon chemin. Je sais qu'elle est vide. Il est aux soins intensifs depuis quelques jours. Son état s'est dégradé... J'en frissonne. Ses parents sont murés dans le silence.

A l'hôpital de jour, Léo est assis à côté de sa maman...dans le couloir. Il me sourit.
-Je suis allé à mon école ces deux dernières semaines. C'était chouette. En fait, je me débrouille bien et je suis moins fatigué que je ne le pensais.
Sa maman confirme. Léo poursuit :
-On ne dirait pas que j'ai été absent si longtemps. J'ai eu des bons points !
-Mais tu as beaucoup travaillé pendant tout ce temps !
-Oh, oui ! J'ai un petit cadeau pour toi.
Il sort du sac de sa maman un sachet de bonbons accompagné d'une photo de lui.
Sa maman précise :
-Il les a choisis lui même pour vous ! Il paraît qu'il connaît vos goûts.
-Alors, ils seront encore meilleurs ! Dis donc, tu les a bien choisis !, lui dis-je en les embrassant pour le remercier.
Ce n'est que plus tard que je lis la phrase au dos de la photo :
« Merci pour vos doux gestes d'amour ».
« Merci », un petit mot qui signifie la gratitude, la reconnaissance. Cinq lettres qui donnent de l'énergie, du courage, qui vous poussent en avant.
Merci Léo pour tous ces moments vécus avec toi, malgré toi et... bonne chance.
Un peu plus loin dans le couloir, un mirage. Enzo ? Notre nomade est planté dans la file d'attente. Il s'approche nonchalamment, au risque de perdre son tour. Il a changé en quelques mois. Son allure surtout. Sur son visage d'adolescent persistent encore des traces d'enfance. Il porte des cheveux longs et des mèches tombent sur ses joues.
Il sourit.
- Quelle surprise !, lui dis-je en l'accueillant.
- Je suis revenu.
- Je n'ai jamais rien compris à tes départs et tes retours mais cela me fait plaisir de te revoir. Tu me sembles en forme.
- Oui, ça va. On habite dans une maison pas loin d'ici avec mes neuf frères et soeurs. Normalement, on devrait rester cette fois. On cherche une école pour septembre.
- Comment va ta maman ?
- Bien, elle suit des cours de français.
- Tu peux l'aider alors ?
- Oui, un peu.
- Beaucoup plus que tu ne le crois.
Puis, il enchaîne :
- Je n'aime pas revenir ici.
- Quoi ? Tu n'es pas content de me revoir ?
Il sourit.
- Je suis un peu triste . Tu te souviens de Lina, cette fille qui était malade ? Sa maman aussi avait un cancer. Elles sont mortes toutes les deux. Elle avait 16 ans.
- Je sais.
- C'est pas juste.
- Non, ce n'est pas juste.
- Je penserai souvent à elle, surtout quand moi aussi j'aurai 16 ans. Je passerai à l'école tout à l'heure.
- Tout le monde sera content de te revoir juste avant les vacances !
A midi, je m'empresse d 'annoncer à mes collègues qu'ils auront une belle surprise durant leur dîner.
Pendant que nous mangeons, une enveloppe passe de l'une à l'autre. Je lis à voix haute :
- Cagnotte pour la pension de Lise.
Une de mes collègues dit :
- Dans deux ans, il y aura une autre enveloppe qui circulera entre vos mains. Il y sera inscrit « Cagnotte pour la pension de Denise ».
- Dans de nombreuses années, encore une autre enveloppe sera sur la table. On pourra lire « Pour la pension de Léa ». Mais vous ne serez plus là et vous m'aurez déjà oubliée depuis longtemps !
- T'oublier ? Toi ? Mais tu es inoubliable !
Et tout le monde rit.
Lorsque la porte s'ouvre sur Enzo, des yeux s'écarquillent de surprise. Nous l'encerclons de joie. Le petit moment bonheur de la journée.

Il est temps de reprendre le travail. Cet après-midi, Dino est attendu à l'hôpital de jour.
Quand j'arrive dans sa chambre, je ne vois personne. Je frappe un petit coup à la porte de la salle de bains. Pas de réponse. Je fais demi tour, lorsque je perçois un petit rire. Quelques secondes passent avant que je n'aperçoive Dino sous son lit ! Cette fois, il éclate de rire !
- Mais qu'est-ce que tu fabriques ?
- Je joue au sous-marin.
- Au sous-marin ?
- Oui, je suis au sous-sol du sous-marin et je t'ai bien eue !
Il rampe et remonte dans son lit. Il me dit :
- On ne travaille plus aujourd'hui ! J'ai réussi mon année !
Une victoire importante d'autant plus qu'il n'avait pas du tout fréquenté son école depuis le début de l'année scolaire.
- Félicitations !
- On se reverra à la rentrée ?
- Oui, de temps en temps...
Puis il se dirige vers l'un des sacs posés sur une chaise et en sort un petit paquet.
-Tiens, dit-il en me le tendant, c'est pour toi. Je l'ai emballé moi-même mais je n'avais pas de papier cadeau. Il est un peu chiffonné.
-Il est très beau ! Merci !
-Tu peux le regarder maintenant si tu veux.
Il a envie que je le déballe vite devant lui. Je m'empresse d'ouvrir le paquet et là, apparaît un stylo noir sur lequel il est écrit « J'écris une histoire ». Incroyable ! C'est exactement ce qui m'occupe depuis des semaines ! Et Dino ne le sait pas !
Je souris de surprise en l'embrassant.
-Tu as vraiment bien choisi mon cadeau !
Il fait quelques pas sur place en se tortillant les mains de contentement.
-Je voulais te faire plaisir, dit-il en souriant.
-C'est réussi !
L'infirmière vient le chercher et il entre dans la salle de soins en me disant :
- A bientôt.

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