ChapitreLIVRES


Les chroniques de Flore:

Du côté de la vie

Voir les 14 commentaires


CHRONIQUE 13:

VIVE LA RENTREE !

Vu 510 fois

1er septembre. Rentrée. On se replonge dans le bain. Il faut dire que depuis une semaine, le journal télévisé nous y prépare chaque soir, sans oublier les publicités qui nous le rappellent depuis au moins un mois. Des fois que nous oublierions ce grand moment de l'année !
Après une belle saison estivale, la radio annonce la fin de l'été météorologique. Déjà ?
Les enfants restés derrière les vitres de leur chambre d'hôpital, n'en auront pas profité.

Me voilà au début d'une nouvelle page de vie prête à accueillir mes anciens et nouveaux élèves. Elle est encore toute blanche et se remplira jour après jour de joyeux et tristes moments.
A l'école, ambiance chaleureuse et décontractée. C'est le temps des retrouvailles, des changements et de la première réunion.
La journée commence au quart de tour. Je n'ai pas beaucoup d'élèves. Par contre un déménagement nous attend. Le petit local dans lequel deux de mes collègues et moi rangions nos classeurs, livres, jeux et matériel de bricolage va se transformer en bureau pour les médecins. Exit mes affaires, tout redescend à l'école.
Depuis toujours, les institutrices qui travaillons dans les services avons du mal à trouver une place sûre où déposer notre matériel de travail. Finalement, nous nous sentons un peu en « trop » où que nous allions. 
Je rencontre les psychologues qui elles aussi déménagent. Elles sont déçues de quitter leur bureau. Les diététiciennes sont dans le même cas... Pas assez de locaux. Rien n'est jamais acquis, rien n'est jamais définitif. Autant s'en faire une raison. 
Mes collègues et moi passons d'une salle à l'autre en transportant des sacs ou en poussant de vieux chariots customisés. 
Un jour, intrigué, un médecin me demande :
-Qu'est-ce que vous avez dans ce sac que vous emmenez partout avec vous ?
-C'est le sac de Mary Poppins, on y trouve tout ce qu'il faut : des crayons de couleur, des exercices et même des jeux.
Il sourit et nous sortons de l'ascenseur en riant.
Surtout, ne rien oublier à l'école pour éviter d' incessants va-et-vient. Ne rien laisser non plus dans les chambres. Tout ce qui est « oublié » dans les services disparaît à jamais de votre vie.

A l'hôpital de jour, Dino est assis au centre de son lit, toujours souriant.
-Regarde, me dit-il, c'est mon nouveau cartable mais je n'ai pas encore eu de travail. Demain, je retourne dans mon école.
-Super ! Tu vas enfin retrouver tes copains.
Il attendait ce moment depuis le mois de juin.
-Oui. Je ne viendrai plus souvent ici. Tu as préparé des devoirs pour moi ?
Et les habitudes, si rassurantes, reprennent. Il me parle comme si nous nous étions quittés la veille. Je suis émue de le voir si content. Il va bien, une bonne nouvelle à placer devant les mauvaises qui jettent une ombre sur notre rentrée. Plusieurs enfants du service ont rechuté, d'autres sont décédés pendant les vacances. L'institutrice de maternelle est très affectée même si elle était déjà au courant. On ne s'habitue pas à la mort d'un enfant malgré les années. Elle perd plusieurs petits à la fois.

Bilal, a passé les mois de juillet et d'août à l'hôpital. Il va mieux. Le soleil a la permission d'entrer dans la chambre à présent. Il m'accueille avec un grand sourire, une envie de partage.Sa maman m'explique d'une traite :
-Nous sommes toujours ici mais Bilal va de mieux en mieux. Vous pouvez contacter son institutrice. Je lui ai téléphoné et elle est d'accord de me donner ses travaux. Il a réussi son année ! Un grand sourire apparaît sur son visage fatigué.
Au fur et à mesure que la maman parle, la joie se propage dans la chambre. Bilal s'installe à la table et, enthousiaste, commence ses exercices .
Je constate qu'il a un bon niveau scolaire.
-Oui, je travaillais bien, avant .
Puis, il enchaîne :
-Normalement, j'aurais pu rentrer hier mais je n'ai pas assez de globules blancs alors je dois encore rester quelques jours. J'ai eu de la température durant la nuit.
-Tu as été déçu alors.
-Au début un peu mais maintenant ça va. Je suis quand même content parce que je me sens bien et je peux bouger. J'ai pris mon bain tout seul ce matin !
Il est heureux de pouvoir à nouveau descendre de son lit, de marcher, manger, regarder la télé...Des gestes que nous avons l'habitude de réaliser sans réfléchir. 
Heureux de vivre, tout simplement.
Ce petit moment avec Bilal m'a fait du bien. Il apprécie son frêle retour à la vie, s'y accroche de toutes ses forces.
Faut-il risquer de la perdre pour en comprendre la beauté et recommencer à sourire ?
Le sourire c'est le soleil de l'âme et le soleil est le sourire du ciel.

Pendant la journée, je passe en dialyse. Mes anciens élèves me manquent.
Bénie est déjà occupée avec un prof du secondaire. Ses yeux s'éclairent lorsqu'elle me voit :
-Coucou Léa !, me dit-elle joyeusement.
Laetizia semble se réveiller soudainement. Elle me fait un signe de la main en me regardant comme si j'étais sortie d'une boite à surprises. Je lui souris. Je m'adresse ensuite à Bénie :
-Je vois que tu ne perds pas de temps !
-J'ai déjà plein de travail depuis le premier jour ! Tu te rends compte qu' »ils » ne nous laissent même pas quelques jours pour nous habituer ?
Le prof rit de sa remarque. Je me dis qu'il n'a encore rien entendu venant de Bénie et lui promets bien du plaisir.
Laetizia qui ne perd jamais une miette de la conversation s'y inclut :
-Moi aussi j'ai déjà beaucoup de devoirs.
Puis, elle m'embrasse et poursuit en me montrant quelques feuilles dans son classeur:
-Regarde mes bons points.
-Effectivement, tu commences l'année avec des « bravos ». 
-J'espère bien, me répond-elle en remontant ses lunettes sur son nez, comme si c'était une évidence.
Je souris face à ses mimiques d'adulte. 
En deux mois, rien n'a vraiment changé et cette ambiance me manquera.
Je remarque l'absence de Renaud.
-Où est-il ?
L'infirmière me répond que son horaire a changé. Il viendra les après-midis. Quant à Liloua, elle va très bien depuis sa greffe et a repris le chemin de l'école. Je la reverrai sûrement un de ces jours. 
Ouf, encore des bonnes nouvelles ! De quel côté le plateau de la balance basculera-t-il aujourd'hui?

Durant les vacances, je me suis rendue en dialysel afin de leur rendre une petite visite. Malgré tout, quand je ne travaille pas durant une aussi longue période, je me demande comment ils se portent.
Laetizia m'a raconté ses formidables semaines en Italie et bien sûr, Bénie n'arrêtait pas de donner son avis sur tout.
Et puis, Liloua a déboulé dans la salle en super forme! J'étais très contente de me trouver là à ce moment-là. 
Après les retrouvailles, embrassades, nouvelles, elle m'a annoncé :
-Il y aura bientôt une nouvelle fille à ma place.
-Oui, elle s'appelle Palma!,a complété Bénie.
J'en ai profité pour leur annoncer que je ne travaillerai plus en dialyse à la rentrée et qu'une autre institutrice me remplacera.
-Tu nous abandonnes alors ? Qui va me raconter des histoires après les cours ?, s'exclame Laetizia.
Tout de suite les grands mots !
-Ne t'inquiète pas, je ne vous abandonne pas. Je viendrai vous voir. Vous ferez d'autres choses et ce sera bien aussi.
Elle n'a pas eu l'air très convaincu. Embrassades, gros bisous. A bientôt.

Je suis ensuite passée en oncologie où les nouvelles étaient mitigées mais je préfère toujours savoir à quoi m'attendre avant le jour de la rentrée. Il me reste alors encore quelques jours pour ... digérer celles qui auront été dures à avaler.
Il y a quelques années, j'avais perdu un de mes élèves. Il venait de fêter son anniversaire.
Sept ans... Ce n'est pas un âge pour mourir, ne plus avoir d'avenir alors qu'il était au matin de sa vie. Et pourtant...
Cet enfant m'aimait beaucoup et je l'aimais tout autant. Sa mort m'avait fort touchée.
J'avais souvent mal à la gorge à cette époque-là mais le médecin ne trouvait rien de spécial. Rougeur, pastilles au miel à sucer. Mais je ne me sentais pas mieux. 
Je me suis finalement décidée à consulter mon médecin homéopathe. Au cours de sa consultation, nous en sommes arrivées à parler du décès de ce petit garçon. Je me souviens lui avoir dis :
-Cette mort m'est restée en travers de la gorge.
Voilà. Nous avions trouvé d'où venait mon mal. Je n'avais pas beaucoup pleuré parce que je n'arrivais pas à accepter et ma tristesse était restée coincée à l'intérieur. Je pleurais de l'intérieur. Quand on ne peut pas exprimer un mal-être, le corps finit toujours par parler à notre place. 
J'étais simplement incapable d'associer les mots « enfant », « mort » et « deuil ». Quelque chose clochait, ce n'était pas possible. C'était pourtant la réalité et cela reste toujours aussi difficile parce que je suis un être humain. Pas une Super Femme, ni même une Personne Extraordinaire, non, je suis juste moi, une femme ordinaire comme les autres.
Vous me direz que quand on travaille dans un hôpital, on doit s'attendre à ce genre de situation. Bien sûr, mais quand on le vit, c'est encore différent.

Prochaine chronique
Toutes les chroniques


CommentairesLaisser un commentaire


Nom & prénom ou pseudo:
Votre commentaire: