LIVRES
Les chroniques de Flore:
Du côté de la vie
CHRONIQUE 18:
MONICA, LOUISE ET PIPO.
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Ce matin, le prénom d'une petite fille malade chronique figure sur ma liste. L'éducateur me prévient qu'il faut « s'habiller » pour la protéger. Elle ne pourra pas descendre à l'école pendant plusieurs jours.
Quand Monica me voit à travers la vitre de sa chambre, elle se précipite pour m'accueillir. Elle semble me reconnaître. En enfilant la panoplie masque-tablier-gants , je fouille dans mes souvenirs. Les routes sinueuses de mon cerveau ne me révèlent rien. Le vide complet...
Elle m'ouvre la porte en souriant, s'avance comme si nous nous étions quittées la veille. Je risque prudemment :
-Je crois qu'on se connaît.
-Oui, me répond l'enfant, je suis venue il y a deux ans ! J'étais en première année. Je suis en troisième maintenant !
Deux ans ! Pas étonnant que je ne me souvienne pas. Tellement d'autres enfants sont passés dans le service.
La maman assise dans le fauteuil me sourit. Je la reconnais vaguement. Je vois à son regard qu'elle se souvient bien de moi. Elle poursuit :
-Elle n'avait plus fait de crise depuis cette année-là. Elle était souvent hospitalisée quand nous vivions en Afrique.
Ah, ça y est, mon franc tombe ! Je me souviens ! Je restitue les personnes et l'histoire ! Je me sens un peu plus sûre de moi.
La maman a déjà contacté l'institutrice de Monica afin de recevoir ses travaux ou la matière à voir. Tout est organisé. J'étais « attendue » et cela me fait plaisir. Quelle coopération !
Monica me dit :
-Je ne comprends pas bien les problèmes et les fractions. C'est dur les maths...
Et le français, n'étant pas sa langue maternelle, lui pose aussi quelques soucis.
-Nous allons commencer tout de suite alors !, lui dis-je en riant.
Toute contente, elle se met à la table avec enthousiasme. Elle fait son possible mais que de difficultés ! Je me dis que je ne pourrai jamais rattraper toute cette matière en quelques jours mais je ferai ce que je pourrai.
Quelques chambres plus loin, assise au bord du lit, Louise est déjà plongée dans la création d'un tableau d'automne. Des feuilles de couleur qu'elle déchire en petits morceaux s'étalent sur sa tablette. Elle les trie au fur et à mesure selon les tons. Elle essaie ensuite de les disposer sur un arbre dessiné en variant les couleurs. Du haut de ses huit ans, elle semble bien organisée, structurée.
-C'est joli, lui dis-je en m'installant près d'elle.
-C'est l'éducateur qui m'a donné le matériel. Je ne peux pas aller dans la salle de jeux alors je bricole ici. Je dois prendre des antibiotiques pendant cinq jours. Je n'ai presque plus de fièvre.
-C'est pour ça que tout le monde se déguise pour venir te voir !
J'ai du remettre toute la panoplie.
Louise n'a pas l'air contrarié par la situation. Nous parlons de l'école.
-Je travaille bien. Je suis la première de la classe ! Tu peux m'aider un peu ? Je ne sais plus très bien comment je dois continuer.
Un petit bout de papier orange par ici, un jaune par là... La mosaïque prend forme.
Elle est seule dans la chambre, sa maman viendra ce soir. Elle me raconte :
-J'ai une soeur et un frère en Afrique. Ils sont restés avec ma grand-mère. Je suis venue avec maman pour me soigner. Il y a trois ans... Ici, j'ai une petite soeur. Elle a un an. Elle ne peut pas entrer dans ma chambre alors, maman reste avec elle et moi je dors toute seule.
-Et tu te débrouilles très bien !
Elle saute de son lit et me montre sa garde-robe.
-Regarde, me dit-elle, ici j'ai mis mes pulls et là mes bas, mes jupes , mes pantalons...
Je me suis lavée et habillée toute seule !
Elle me fait visiter la salle de bains où tout est en ordre.L'infirmière vient la chercher pour un examen médical.
-Tu pourras continuer ? On se verra demain.
-Oui, je te le montrerai quand tu reviendras.
Quel doux moment avec cette petite fille. Elle est tellement mignonne que je la quitte avec regret. On se demande qui fait du bien à qui !
Je monte chez Quentin, en oncologie. Il est allongé dans son lit et regarde la télé .
Je passe ma tête et lui demande :
-Je peux venir ?
-Oui, répond-il en s'asseyant. Je suis tout seul et je m'ennuie devant la télé. Tiens, j'ai mes devoirs... du français.
-Tu n'as pas l'air très enthousiaste, lui dis-je en souriant.
-Je préfère les maths.
-J'avais deviné !
Pourtant, il manie aussi bien le français que les maths.
Nous revoyons le genre des noms. Il lit le mot "chien", écrit masculin à côté, puis me raconte :
-Moi, je ne veux pas qu'on me sépare de mon chat pendant six mois ! C'est mon copain depuis que je suis tout petit. C'est pas juste !
-C'est vrai que ce n'est pas facile, mais c'est pour te protéger. Tu n'as pas vraiment le choix. Tu sais où il ira ?
-Chez mes cousins... Moi je lui parle, je joue avec lui et le soir, il regarde la télé avec moi. Je lui raconte tout. Il s'allonge sur mes jambes et ronronne. Le matin, il vient frotter sa tête contre moi pour avoir de câlins. Il va me manquer vraiment beaucoup.
- Comment s'appelle ton chat ?
- Pipo.
-Tu n'as pas une photo de ton chat que tu pourrais garder près de toi ?
-Oui, maman en a déjà. On va les mettre dans des pochettes et elle va me les apporter.
Il parle d'une voix douce en posant sa petite main sur la mienne afin d'être sûr que je comprenne bien son chagrin.
Comme je le comprends ! Les animaux de compagnie tiennent une importante place affective dans notre vie.La présence rassurante et sincère de son petit chat les lie intimement. C'est une vraie histoire d'amitié qu'il me raconte. Et je me dis, qu'il y aura encore des larmes et .. . des draps mouillés.
Il continue son travail pendant un bon moment. Puis la maman arrive suivie d' une infirmière et me demande :
-C'est obligé d'avoir une psy ?
Un peu étonnée par la question je lui réponds:
-Il ne s'agit pas d'une obligation mais d'une personne qui pourrait vous aider, vous et votre enfant.
-Je ne suis pas très psy moi mais peut-être pour mon fils...
L'infirmière intervient :
-Pour toute la famille.
-Je ne le sens pas.
-Prenez d'abord le temps de parler avec elle, vous verrez ensuite, ajoute l'infirmière.
La maman hésite. Peut-être changera-t-elle d'avis quand elle la rencontrera. Je l'espère. Les gens se font parfois tout un monde au sujet des psychologues ! Et pourtant ... Heureusement qu' elles sont là ! Les enfants et les adultes ont parfois besoin de traduire en mots ou en larmes leur peine, leur colère, leurs attentes. Elles sont là pour les accueillir et leur donner la force d'avancer.
EN PANNE !
L'automne a répandu ses feuilles dans les couloirs des salles et dans les classes. Des arbres orangés suspendus aux murs, sont bientôt rejoints par des citrouilles, des sorcières, et autres personnages d'Halloween. Ca sent le déguisement, la fête, les frissons de peur et de joie. Encore un petit coup de pinceau et il est temps de remonter les enfants dans les chambres.
Jeanette et Janie sautillent en se donnant la main. Elles se sont habituées au rythme de l'hôpital, de l'école et connaissent tout le personnel soignant de leur service, les éducatrices et les institutrices.
Nous papotons devant les ascenseurs qui n'arrivent pas. Enfin une sonnerie, des portes qui s'ouvrent, des gens qui sortent. Nous pouvons entrer. Une dame nous accompagne avec sa petite fille.
L'ascenseur démarre et... s'arrête après quelques secondes entre deux étages. Les filles me regardent les yeux écarquillés. Je sens monter une onde de panique dans leur regard. La dame appuie sur tous les boutons en disant :
-On est en panne !
-Ce n'est pas grave, lui dis-je en décrochant le téléphone. Ce n'est pas la première fois que ça arrive.
A l'autre bout, une voix d'homme me répond qu'il nous envoie un technicien en précisant que nous devrons attendre une vingtaine de minutes. Jeanette et Janie ne m'ont pas quittée des yeux. Je les rassure et les préviens qu'elles devront être patientes.
La dame me dit, soulagée :
-Heureusement que vous êtes avec nous sinon, je crois bien que j'aurais eu peur ! J'aurais paniqué ! Bon, je vais rater mon rendez-vous. Vous pensez que je pourrai quand même avoir la consultation pour ma fille ?
Moi non plus je ne me sens pas très à l'aise mais ne faisons pas paniquer les petites.
Janie tire sur mon pull en disant :
-J'ai faim moi ! Tu crois qu'on aura le temps de manger ?
-Bien sûr ! On ne va pas vous laisser mourir de faim ! On ne passera pas la journée ici ! Ne t'inquiète pas.
Elles rient et se mettent à chanter une comptine en tapant leurs mains sur celles de l'autre. Pendant ce temps, la dame me raconte toute sa vie ! Un roman rocambolesque qui commence en Afrique et se termine dans l'ascenseur. Je n'ai pas tout compris mais elle m'a fait rire.
Finalement, un homme nous appelle de l'étage inférieur.
-C'est le technicien, dis-je aux filles qui se sont arrêtées de chanter.
-Ah, c'est lui !, me répond Jeanette, avec soulagement, comme s'il s'agissait de notre sauveur !
-Je fais monter l'ascenseur jusqu'à l'étage !, nous prévient-il.
Le silence et l'attente s'installent. Un peu plus tard, l'ascenseur monte doucement et s'arrête au bon endroit.
-Vous y êtes ?
-Oui, mais les portes ne s'ouvrent pas !, lui dis-je.
-On ne peut pas sortir !, renchérit la dame.
-C'est normal, j'arrive !
-Il arrive ! répète Jeanette tout bas en s'adressant à Janie.
Je les observe toutes les deux en riant. Encore quelques minutes et voilà notre sauveur qui ouvre les portes manuellement.
-Enfin libérées, dit la dame.
Nous le remercions, sautons dans l'autre ascenseur. Les fillettes regagnent enfin leur chambre avec trente minutes de retard.
Je peux retourner à l'école. Moi aussi j'ai faim !
Dès que j'ouvre la porte de la classe une collègue m'accueille :
-Tu as oublié l'heure ?
L'autre ajoute :
-Il t'en a fallu du temps ! Tu t'es perdue ?
Le contraire m'aurait étonnée ! Pas moyen de passer inaperçue ! Après quelques explications et des rires, chacune y va de sa petite histoire !
L'après-midi se passe auprès de Monica et Louise qui est venue nous rejoindre dans la chambre. Elles sont devenues « amies d'hôpital » et travaillent ensemble . Elles sont mignonnes chacune avec leur plumier, leurs crayons, leur travail. Monica me demande :
-C'est comme ça qu'on écrit « limace » ?
Elle a écrit « limase ».
Louise qui se sent très concernée par le travail de Monica, regarde par-dessus la feuille en pointant le « s » de la pointe de son crayon.
-Et non, c'est un « c » à la place du « s » mais je ne sais pas te dire pourquoi.
Un peu plus tard, Monica s'adresse directement à Louise :
-C'est juste ça ?
Louise jette un oeil sur l'exercice et lui répond :
-Oui, c'est bon.
Elle se remet au travail. Je les regarde toutes les deux en riant et je leur dis :
-Si vous n'avez pas besoin de moi, dites-le !
J'entends leurs rires. Elles se regardent en gloussant avec complicité.
En fin d'après-midi commencent les visites, reportant les devoirs au lendemain.
Lorsque j'entre dans la salle de jeux, des monstres sont accrochés aux fenêtres tandis que des araignées grimpent le long des murs.
Quelques jours plus tard, c'est la fête d'Halloween. Petits vampires, sorcières, citrouilles sortent de l'ombre. Les rires résonnent dans les salles et à l'école. Ils s'amusent à effrayer les adultes qui jouent le jeu. Quel joyeux chahut !