LIVRES
Les chroniques de Flore:
Du côté de la vie
CHRONIQUE 19:
MAISON D'HOPITAL ET COEUR QUI TREMBLE.
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Novembre.Toussaint. Journée difficile pour certains. Elle nous rappelle ceux qui nous ont quittés mais qui font toujours partie de notre vie. Leur présence toujours vivante dans notre mémoire.
J'ai une pensée pour les personnes seules, sans famille, sans ami, qui partent un jour sans ne laisser aucun souvenir et dont on ne parlera jamais plus.
La météo a revêtu son manteau gris de bruine. Chagrin dans le ciel, sur la Terre et dans les coeurs.
Nous aussi nous deviendrons un jour le souvenir de quelqu'un. De quelques-uns seulement. Ceux qui nous ont vraiment aimés. Ils se souviendront surtout de tout ce que nous leur avons donné. Mais pour donner, il faut avoir reçu. Notre histoire nous colle à la peau, grandit avec nous, détermine nos choix et nous change.
Après un congé pluvieux et froid, je reprends le chemin de l'école. Deux enfants sont déjà là avec leurs parents. Charline et Thomas n'ont que sept et huit ans mais ils souffrent du nouveau mal de la décennie : la phobie scolaire autrement dit la peur de l'école.
De nombreux jeunes rejoignent notre école en cours d'année pour cette raison, entre autres, mais ce sont déjà des adolescents. Nous n'avions encore jamais eu des enfants si petits !
Harcelés, humiliés, rejetés et isolés par leurs « camarades « de classe, ils arrivent un jour chez nous en miettes. Des enfances et des adolescences abîmées.
Thomas ne veut pas quitter sa maman, Charline pleure. La titulaire prend la situation en main et les emmène dans sa classe avec douceur. La tâche sera dure !
Justement, ce matin je reste quelques heures dans une autre classe. Une des institutrices est malade, l'autre en formation. Nous nous relayons avec une autre collègue et je retrouve l'ambiance d'un petit groupe.
Je me souviens de ces années de classe avec des enfants de six ans. De belles années.
Ils en avaient des choses à raconter. Ils jouaient ensemble, se soutenaient quand ils avaient la même maladie et comme ils allaient mieux, faisaient des projets d'avenir. De leur spontanéité naissaient des mots d'enfants tellement vrais.
Aujourd'hui, ce sont de grands adolescents pleins de vie. Je les ai croisés, parfois sans les reconnaître mais eux m'ont reconnue et m'ont donné des nouvelles réjouissantes.
Après ce petit moment en classe, je vais voir Nicolas. Dès que sa maman m'aperçoit, elle sort de la chambre. Nous sommes à quelques pas de la porte restée entrouverte. Elle me chuchote que son fils est en soins palliatifs. Espoir, où te caches-tu ? Tu n'as pas tenu tes promesses.
-Il ne le sait pas encore. Je voudrais qu'il ne le sache pas.
Je vois que Nicolas nous regarde. Je le salue en souriant. Il m'appelle :
-Tu viens ?
J'entre dans la chambre. Les barres de son lit sont relevées. C'est nouveau ça.
-Tu as peur de tomber ?
-Mais non, répond-il en riant. Je me sens en sécurité. Tu vois, c'est ma maison d'hôpital. On joue ?
Je sors un jeu de mon sac « magique » qui ne contient pas de potion magique. Difficile de me concentrer. Je sais des choses le concernant qu'il ne sait pas. Il arrive au bout du chemin. Ne s'en doute-t-il pas déjà ?
Chuchotements, regards, attitudes qui changent lèvent peu à peu le voile sur le secret. On ne trompe pas longtemps un enfant sur son état de santé. Quand il joue le jeu, c'est pour protéger ses parents. D'ailleurs, pourquoi a-t-il besoin subitement de se sentir en sécurité dans sa maison d'hôpital ?
Il joue, rit, s'amuse. Petit instant de bonheur éphémère. Ce sont ces moments-là que je retiendrai de lui.
J'arrive dans la chambre de Monica. Elle m'attend devant la porte avec son masque. Elle voudrait aller à l'école, avec Louise, mais je ne vois pas les infirmières. Je ne sais pas si je peux l'emmener. Je lui propose :
-Dès que nous verrons une infirmière nous le lui demanderons. En attendant, nous pouvons quand même travailler.
Elle rentre dans sa chambre, enlève son masque ce qui veut dire que c'est à moi de m'habiller.
Après trois semaines d'hospitalisation, elle aimerait changer d'air. Elle a pu se rendre dans la salle de jeux ces derniers jours. Heureusement, elle pourra aussi rejoindre les autres enfants en classe durant l'après-midi. Quelle bonne nouvelle ! C'est le soulagement !
Elle saute de joie, joue du tam-tam sur la table en riant.
En fin de matinée, je passe en dialyse. Envie de revoir mes anciens élèves. Des nouveaux que je ne connais pas ont pris place dans les lits. Bénie m'aperçoit :
-Ah, te voilà ! Je croyais que tu m'avais oubliée !, me crie-t-elle en riant.
-Ne t'inquiète pas, je pense que ça ne risque pas d'arriver !
Laetizia lève les yeux en souriant. Après le bisou, elle m'explique :
-Bientôt, je ne viendrai plus ici. Je vais passer en péritonéale.
Cela signifie qu'elle sera dialysée chez elle toutes les nuits, à la maison. Elle pourra dès lors fréquenter son école tous les jours.
Les infirmières vont « former » les parents mais ils seront accompagnés les premières fois chez eux afin que tout se passe bien.
-Tu es contente ?
-Ah oui ! J'en ai marre de venir ici quatre fois par semaine. Surtout que cette année, j'ai un peu dur à l'école.
Son regard s'assombrit mais Renaud intervient :
-Tu crois que je n'ai pas dur, moi ? C'est quoi le féminin de chameau ? Chômeuse ?
Quel phénomène ! Bénie rit, Laetizia soupire. Ils sont toujours pareils.
Puis, Bénie poursuit :
-Je vais finir par me retrouver toute seule si vous partez tous !
-Mais non, lui répond Renaud. Je suis toujours là moi puisque mon père ne peut pas me donner son rein.
-Pourquoi ?, demande Laetizia.
-Trop de risques.
-De quoi ?
Il ne répond pas, hausse les épaules.
La machine sonne la fin de la dialyse. Déjà midi, l'heure des débranchements. Je quitte la salle et me dirige vers les ascenseurs. Deux sont en panne ! De mieux en mieux.
J'aperçois le « technicien sauveur », la tête entre les portes, appelant de sa voix caverneuse les personnes restées coincées. Cela me fait rire. Je m'engouffre dans celui qui arrive et rejoins mes collègues.
Pendant que nous mangeons, je leur annonce que j'écris une histoire concernant notre travail, surtout le mien, à l'école. L'idée est bien accueillie. Heureusement.
L'une d'elles me dit en riant :
-Il ne manquait plus que ça ! Mon Dieu, qu'est-ce que ça va être !
Une autre ajoute :
-Une écrivaine parmi nous !
-Pas du tout, dis-je en haussant les épaules.
L'autre s'y met aussi :
-Tu as fait ta thérapie ?
-Sûrement pas. J'ai l'air d'en avoir besoin ?
-Si tu écris autant que tu parles... (petit silence plein de sous-entendus). Quand pourrons-nous la lire ?
-Puisque c'est comme ça, vous attendrez encore un peu !
-Tu n'es pas marrante !
Moment de détente et cela me fait du bien mais Nicolas reste dans un coin de ma tête.
J'aperçois Charline et Thomas qui jouent avec les autres élèves. Ils vont mieux, commencent à sortir de leur coquille, sourient de temps à autre.
Une éclaircie se dessine sur leur enfance blessée.
Ce matin, une petite surprise m'attend. Junior reçoit ses traitement dans la chambre de l'hôpital de jour.
-Junior ! Cela fait longtemps que je ne t'ai plus vu !
Grand sourire. Pour une fois, il a emmené ses cours.
-Je t'attendais. La semaine prochaine, je rentrerai dans mon école. Mon institutrice a préparé mes classeurs. J'ai déjà un peu commencé les calculs.
En effet, les feuilles sont numérotées, classées, séparées par des intercalaires. Tout est en ordre...jusqu'à présent.
Il se concentre, continue ses exercices facilement. Quelqu'un passe plusieurs fois devant la porte ouverte en sifflant. C'est la maman de Junior !
-Quand elle siffle, c'est qu'elle est contente, me dit-il sans lever les yeux.
-Alors tant mieux !
Quelle famille amusante. Une grand-mère pince-fesses, des hommes poilus et une maman siffleuse.
Subitement, il me dit :
-J'ai le trac de rentrer à l'école. Je ne connais pas mon institutrice. Elle sait que j'existe mais elle ne sait même pas qui je suis.
-Tout ira bien. Ce sont les premiers instants qui sont un peu intimidants mais tu t'habitueras très vite. Ton institutrice saura rapidement qui tu es !
Il se détend, sourit, continue son travail mais je sens que nous arrivons bientôt à la fin. Je le devance en le taquinant :
-Aujourd'hui, tu n'as mal nulle part Junior même pas au petit doigt.
-Comment tu sais ?, me répond-il les yeux ronds.
-Tu crois que je ne te connais pas moi ? Termine tes exercices.
Je ris. Il reste en état d' »étonnement » encore quelques secondes, faisant rouler ses yeux, puis replonge dans sa feuille en souriant.
-Comédien.
Quelques instants plus tard :
-Voilà !, me dit-il en déposant son stylo. On joue ?
Pendant la partie, il regarde dans mon jeu de cartes.
-Mais tu triches, nom d'une boulette !
-Je ne l'ai pas fait exprès.
-C'est la première fois que j'entends ça !
-C'est pas moi, c'est mes yeux !
-Bien sûr ! Garde-les chez toi.
Quel numéro ! Mais il est tellement mignon.
-Moi j'aime bien les boulettes.
C'est tout lui !
Dans la chambre voisine, Quentin écoute de la musique. Lorsqu'il me voit, il enlève ses écouteurs. De sa voix douce il me parle de son chat Pipo. Il va bien mais ils ne peuvent toujours pas se voir.
-Je me souviens quand je le prenais dans mes bras. J'ai tellement envie de l'embrasser que parfois mon coeur tremble. J'aime bien mettre mon nez dans sa fourrure. Elle est toute douce. Tu sais, mon Pipo, il a de longues moustaches comme ça !
Il écarte ses doigts afin de me montrer leur longueur.
Puis, il sort ses cours de son sac à dos.
Quelques minutes plus tard, une infirmière arrive. Tout à son travail, elle remarque que Quentin à un peu de mal à se concentrer. Elle lui demande :
-Tu préfères Patrick ou Léa?
Patrick c'est l'éducateur. Drôle de question qui déstabilise Quentin qui se tait. Je le sens dans une mauvaise posture, un peu gêné. Je réponds à sa place pour le détendre :
-Entre l'éducateur qui arrive pour jouer et une instit qui lui donne des devoirs, le choix me paraît évident !
Il sourit, soulagé. L'infirmière poursuit :
-C'est important de travailler. Moi aussi je suis allée à l'école et c'est grâce à tout ce que j'ai appris que je peux te soigner.
Elle s'est bien rattrapée finalement. Après son départ, il me montre une leçon d'éveil sur la vie des fourmis.
-On doit lire le texte et répondre aux questions, m'explique-t-il.
-Nous allons d'abord observer les images. Explique-moi ce que tu vois.
-Les fourmis vivent dans la fourmilière.
Il lève les yeux et poursuit :
-A la maison, elles vivaient chez nous ! Dans l'armoire de la cuisine !
Il m'explique leur trajet sur le carrelage, le long du mur et la porte de l'armoire pour atteindre un petit trou qui les menait vers l'étagère où se trouvaient la confiture et le sucre.
-Moi, je les trouvais comiques mais ma maman les a tuées.
Il hausse les épaules, dépité.
-Tu aurais mangé une tartine de confiture à la fourmi .
-Oh non ! Sûrement pas !
Puis, il commente d'autres images, lit le texte et répond aisément à toutes les questions.
-Mission terminée !, m'annonce-t-il fier de lui.