ChapitreLIVRES


Les chroniques de Flore:

Du côté de la vie

Voir les 14 commentaires


CHRONIQUE 2:

JEUNES ETOILES.

Vu 578 fois

Colombes et ballons blancs montent vers le ciel. David a déployé ses ailes de lumière et comme les oiseaux, disparaît à l’horizon. Emotion, tristesse, larmes, la vie se teint de deuil. Pourtant le soleil brille en cette triste matinée. Joie dans le ciel, peine sur la Terre. Quel contraste. Au loin, les arbres se balancent au gré du vent. Le monde continue de tourner même si une petite âme s'est envolée. Ma seule consolation est de savoir que David est parti sereinement. Cette nuit, une nouvelle étoile brillera dans notre galaxie.

Après la cérémonie, retour à l’école. Dur, dur mais la vie continue. Je suis éreintée et la migraine tente une approche. Cette journée me rappelle ceux et celles qui nous ont quittés avant lui.
Je me souviens surtout de Noémie, 10 ans. Elle venait souvent dans le service d’oncologie pour ses chimios. Elle n’avait pas beaucoup de visites et je me souviens que le médecin disait, impuissant, que ce n’était pas bon pour son moral. Elle gardait auprès d’elle une photo de sa maman qu’elle ne voyait plus depuis longtemps. Noémie vivait dans un home. Une enfant du juge qui avait déjà mal démarré dans la vie.
Son père, contre toute attente, passait un peu tous les jours mais Noémie espérait voir sa maman. Sur la photo qu’elle avait collée au mur, elle me montrait une jeune femme :
-C’est maman ici, et là c’est moi quand j’avais trois ans. Après je ne l’ai plus jamais vue.
Peut-être que si elle sait que je suis malade elle viendra ? J’ai demandé à papa de lui téléphoner.
Les jours passaient mais sa maman ne venait pas. Noémie gardait espoir malgré tout.
Je n’oublierai jamais ce mois de décembre…
Depuis le début de sa maladie, Noémie refusait obstinément de travailler. Elle n’était pas très scolaire, cela arrive parfois et je ne l’ai jamais obligée. Elle aimait surtout dessiner et bricoler mais, paradoxalement, ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’elle a subitement décidé de revoir ses cours. Tous les matins, elle m’appelait pour réviser. Elle n’était pourtant pas en état. Je ne comprenais pas. J’étais complètement perdue. J’en ai parlé à la psychologue du service :
- J’ai l’impression de la maltraiter. Elle fait tellement d’efforts, je ne comprends pas.
- Mais si c’est elle qui te le demande, tu ne dois pas t’en vouloir. C’est sans doute important pour elle même si elle n’arrive pas au bout de la page. Ne t’inquiète pas, tu lui fais plaisir.
La fin du mois de décembre approchait à grands pas. Tous les enfants, petits et grands, attendaient le passage du Père-Noël. Noémie avait préparé la liste des cadeaux qu’elle avait choisis. 
- Peut-être qu’il m’apportera ma maman aussi.
J’étais émue, caressais sa joue. Elle se serrait contre moi.
Un matin, l’effervescence était à son comble. Les cadeaux des enfants étaient disposés sur la table de la salle de jeux. Ils avaient déjà déjeuné et se rassemblaient autour de l’éducatrice qui tel un chef d’orchestre chantait avec eux en tapant dans les mains. C’était déjà la fête, le Père-Noël était sur le point d’arriver. Mais Noémie n’était pas là. Une infirmière m’a annoncé qu’elle était décédée durant la nuit. Elle était partie sans avoir vu ni le Père-Noël ni sa maman. J’étais sonnée et surtout triste. Noémie était encore dans sa chambre. Pendant ce temps, à quelques mètres de là, la fête battait son plein. Quel paradoxe ! Ce jour-là, la vie et la mort se côtoyaient comme les rires et les pleurs.

Je me remets en condition de travail. Rien ne semble bouger dans les chambres. Tiens, voilà Dounia qui arrive en sautillant, un grand sourire aux lèvres :
- Léa je peux rentrer à la maison cet après-midi !
- Quelle bonne nouvelle ma puce.
-Je passerai mes congés à la maison ! Pour le carnaval, je me déguiserai en star !
-En star ?
-Oui ! Mes lunettes de soleil,du maquillage de maman, une robe qui brille et des chaussures avec des petits talons. Maman a déjà tout acheté !
Elle m'explique cela en m'entraînant dans sa chambre.
-Regarde, mes valises sont prêtes et j'ai un cadeau pour toi.
Elle m’offre un dessin : une princesse noire et tout en bas de la page, deux oiseaux se font des bisous.
- C’est vraiment très beau ! Merci.
Embrassades, cœur un peu réchauffé.
Pendant ce temps, Jamilla persécute gentiment l’élu de son cœur dans tout le service. Elle est radieuse et, miracle, suit son régime à la lettre ! Elle pourra bientôt rentrer chez elle mais cette perspective ne l’enchante pas du tout ! Mademoiselle voudrait rester auprès de son amoureux ! Les autres la taquinent. Les rires débordent de la salle de jeux. Jamilla rit tellement qu’elle a mal au ventre.
Tous les enfants se sont réunis pour fêter un anniversaire. Les mamans sont heureuses.
Quelle bonne odeur de crêpes. Avec ou sans sel, il y en a pour tous les régimes et les éducateurs veillent.
Je m’éclipse dans un autres service puisque ils sont tous occupés ici.

Ce jour-là, sur le chemin du retour, j'observe les arbres qui bordent l'avenue. Les arbres sont les passerelles qui unissent le ciel à la Terre.
Il reste un peu de neige sur les branches. David ne fera pas son bonhomme de neige mais il sera présent dans les premiers flocons des hivers enneigés.

UN CADEAU DE LA VIE.

En dialyse, la salle est en ébullition. Un rein vient d’arriver pour Xavier, 12 ans. On a appelé ses parents à deux heures du matin et Xavier a débarqué très vite. Il ne réalise pas vraiment. 
Comme la plupart des enfants dialysés, il est très menu. Un oiseau pour le chat m’avait dit un jour Annie, ma collègue de maternelle.
Il est 9 heures. Tout le monde attend impatiemment les résultats des derniers examens faits quelques heures plus tôt. Ensuite, la greffe tant espérée… Une vraie vie d’enfant qui se profile à l’horizon. 
Sa maman pleure d’émotion, de joie, d’angoisse aussi. Elle me serre les mains, me parle du bout du tunnel. Xavier attend, sa nuit écourtée se lit sur ses traits.
- Je ne me souviens plus comment c’était avant la dialyse mais c’était sûrement mieux !
Il rit. A présent, tous les possibles s’offrent à lui.
Quelques jours après la transplantation, je revois Xavier en chambre stérile. Il ne pourra plus fréquenter son école pendant trois mois. Il va bien.
Il me dit :
-Je me demande quand même qui m’a donné son rein. C’est sans doute un jeune qui est mort dans un accident. Moi, j’ai de la chance, mais lui il n’est plus là. Je ne peux même pas lui dire merci.
-On ne saura jamais d’où vient ce rein. Le donneur reste toujours anonyme.
- Sa famille non plus ne sait pas qui l’a reçu.
- Non. La meilleure chose que tu puisses faire pour remercier cette personne, c’est de bien te soigner. C’est une chance pour toi, un vrai cadeau de la vie.
- Oui. En plus maintenant, je vais grandir !
Puis il ajoute :
-Si sa famille savait qu'un enfant a été sauvé peut-être qu'elle serait moins triste. Il ne sera pas mort pour rien.

Midi, je redescends à l’école. Sabine, l’éducatrice, soupire devant les toilettes. Rania, une adolescente de 14 ans que nous connaissons bien s’ y est enfermée et ne répond pas. L'éducateur de service va arriver. Elle frappe une nouvelle fois à la porte en l'appelant.
-Toujours rien, me dit-elle, je suis sûre qu'elle rit derrière la porte. Ce n'est pas la première fois.
Quelques appels plus tard, elle daigne enfin nous dire qu’elle ne veut plus retourner en classe. Elle en a marre de travailler. Sabine, lui promet de la raccompagner dans sa chambre. Entre temps, l’éducateur de la salle appelé à la rescousse arrive et frappe à son tour à la porte :
- Rania, je suis là. Ouvre la porte !
Elle se décide enfin, entrouvre la porte et glousse en souriant :
- Je vous ai fait peur, hein ?
Ensuite, comme si rien ne s’était passé, elle nous embrasse et repart avec l’éducateur qui la menaçait d'appeler la sécurité. Une vraie tête de mule. Finalement, nous en rions aussi.
Le lendemain, dès qu’elle nous voit Sabine et moi, elle nous saute dessus :
- Je veux venir à l’école !
- Tu seras sage ? lui demande Sabine.
- Oui, s’il te plaît, je viens.
Elle a déjà attrapé la main de ma collègue. L’éducateur de la salle l’autorise à descendre une heure à l’école, seulement si elle se sent capable de se tenir tranquille.
- Promis !
Encore une enfant paumée, sans parents, en décrochage scolaire et un retard mental. Je me demande que lui réserve l’avenir.
En classe, une de mes collègues corrige des exercices de grammaire. La règle que j’aime le moins en grammaire est celle qui dit que c’est » le masculin qui l’emporte sur le féminin ». Depuis l’enfance, j’ai toujours détesté cette règle qui donnait tant d’importance et de fierté aux garçons de la classe qui nous regardaient le sourire en coin. Une de mes collègues me dit :
- Encore une règle sortie en ligne directe du cerveau d’un homme !, me dit-elle.
- Tout à fait anachronique ! Il faudrait la modifier vu que nous avons dépassé l’an 2000. 
- C’est la nouvelle révolution de Léa ! me dit une autre collègue en riant.
- Logiquement, c'est la majorité qui devrait l'emporter.
- Tu imagines : Marjorie, Julie et Antoni sont belles ! Sans compter les exceptions qu'il faudra encore ajouter à la nouvelle règle. Non, merci ! Ce n'est pas une bonne idée.
L’ambiance est légère, nous rions tous ensemble et faisons beaucoup de bruit. Nous avons besoin parfois de raconter un peu n’importe quoi, histoire de nous soulager. Ceci dit, je ne suis pas féministe et le masculin est plus facile à écrire que le féminin.
Après ce dîner survolté, je me rends dans l'un des services. Isaac, est un ado de 16 ans, une nouvelle fois hospitalisé. Ici, tout le monde le connaît depuis des années. Une souris d'hôpital. Il souffre d’une maladie chronique qui raidit les muscles en périodes de crises et donne de fortes douleurs. Il est allongé dans son lit, sous morphine, comme à chacune de ses hospitalisations. Il me voit passer devant sa chambre et me fait signe de venir :
- Tu me racontes une histoire comme quand j’étais petit ?
Cette phrase me fait sourire venant de lui qui est aussi grand que son lit. Il n’a jamais été très studieux, je crois même que lorsque je lui donnais cours, il y a quelques années, il travaillait pour me faire plaisir.
Il me montre un livre qui traîne sur son lit. Je m’installe près de lui et je commence la lecture. Quelques pages plus tard, je lève les yeux. Isaac s’est endormi… comme un petit. Je le trouve attendrissant. Je referme le livre et j’attends encore un moment afin de m’assurer qu’il dort bien. Je pars ensuite sur la pointe des pieds. Direction, la dialyse. On y fête l’anniversaire de Bénie. J’adore cet enfant. Toujours de bonne humeur, pétillante de joie, elle est le rayon de soleil du service. 
Déjà installée dans son lit décoré de ballons multicolores, elle me regarde de ses grands yeux malicieux. Ils brillent de bonheur. Au moment de souffler les douze bougies elle éclate de son rire qui résonne dans toute la salle, puis se concentre et les éteint en une fois. Gâteau, cadeaux, bisous et compliments. Bénie est folle de joie. Il ne faut pas insister pour la prendre en photo ! Petites poses, sourires, grimaces, flashs, photos réussies ! Tout le monde applaudit. Bon anniversaire Bénie ! 

Nous sommes déjà en mars. Bonne fête à toutes les grands-mères !
Si Dieu a créé les grands-mères, c’est parce qu’Il savait qu’on aurait toujours besoin d’elles. Les grands-mères ont tant de trésors à partager avec leurs petits-enfants, tant d’histoires à leur raconter : des épisodes de leur vie pour leur apprendre la Vie, des histoires drôles pour les consoler, d’autres qui les aident à grandir... 
Toutes celles qui ont pu créer ce lien magique avec leurs petits-enfants leur ont légué un précieux héritage, celui de l’amour. De doux souvenirs aussi, des moments de complicité, de rires et de tendresse. Peut-être que grâce à elles, l’avenir de l’humanité sera meilleur.
Voilà Mamy justement. Elle est heureuse en m’annonçant que Jennifer est en rémission. Quelle bonne nouvelle ! Même si nous savons que rémission ne veut pas dire guérison définitive pour autant. Jennifer va enfin pouvoir reprendre le cours de son enfance, laissé au bord de la route, il y a quelques mois. Renouer avec sa vie d’avant.
Le rythme sera plus soutenu mais Jennifer est ravie de retrouver bientôt son école, ses copines, ses habitudes, la vie normale. Elle croit en l’avenir, son avenir. 
Au revoir Mamy ! Bonne route Jennifer. On se verra encore mais beaucoup moins souvent. Tant mieux.
Malheureusement ma joie fut rapidement ternie.
L’ambiance est morose ce matin, très pesante dans l’autre service. L’éducatrice vient de m’annoncer une triste nouvelle. Nous ne reverrons plus Jamilla. Elle a réussi à quitter notre monde. Un petit arbrisseau aux racines trop fragiles, emporté par la dernière tempête.
J’ai une pensée pour elle, sa famille, sa maman.

Quel est le mot qui définit une mère qui perd son enfant ? Quand un enfant a perdu ses parents, on le dit orphelin. Une maman ne peut pas être orpheline de son enfant. Peut-être que ce mot n’existe pas tout simplement parce qu’aucun mot ne peut dire l’insoutenable. La vie est cruelle, le deuil l’est aussi. Il y a des absences dont on ne se remet jamais.
De nombreuses mamans restent prisonnières de ce deuil inqualifiable, même après des années. Mais parfois, lorsque la nuit la plus noire les a emmenées aux portes de l’enfer, il y a comme un sursaut de survie, une lueur, un espoir. Un souffle sur la mèche presque éteinte d’une bougie. La flamme qui se rallume doucement et qui donne un nouveau sens à la vie.
Plusieurs d’entre elles ont créé une association pour aider les autres familles, une autre a écrit un livre. 
Un jour, une maman a dit :
- Je crois que ma fille était venue sur cette Terre pour m’aider à avancer dans ma propre vie. Tout au long de sa maladie, elle m’a guidée, montré le chemin. Je suis si fière d’elle, de ce qu’elle a accompli.Je sais qu'elle m'accompagne chaque jour de ma vie.
Elle souriait. Elle portait en elle une nouvelle graine d’enfant. Un miracle de la vie.

Prochaine chronique
Toutes les chroniques


CommentairesLaisser un commentaire


Nom & prénom ou pseudo:
Votre commentaire: