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Les chroniques de Flore:
Du côté de la vie
CHRONIQUE 8:
VOYAGES ET VIES NOUVELLES ...
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Dans la salle de dialyse, l'ambiance vire à la fête après les cours de l'après-midi. L'éducatrice a mis de la musique et tous les enfants dansent dans leur lit, chantent en riant. Même les infirmières exécutent quelques pas de danse. Cela arrive de temps en temps. La musique apporte joie et détente. Même Laetizia, toujours très sérieuse, se lâche un peu. Quel plaisir... une petite fête improvisée. Tout le monde applaudit, les mouvements des uns entraînant ceux des autres une chorégraphie prend forme. Bénie donne le rythme. Liloua rit d'un rire qui dévoile ses gencives. Elle a perdu plusieurs dents de lait. Elle est à croquer ! Renaud crie plus fort que les autres.
Nous étions loin de cette ambiance lorsque je suis entrée dans la salle quelques heures plus tôt. Gros découragement inscrit sur le visage de Laetizia.. Voici ce qu'elle m'a dit en me voyant :
- J'avais envie d'être institutrice plus tard mais maintenant, je n'en ai plus envie.
- Pourquoi ?
- Je n'aime plus l'école. C'est trop dur.
C'est vrai qu'elle a toujours eu quelques difficultés.
- Parfois, je dis à « Madame » que j'ai mal à la tête pour ne plus travailler. Alors, je peux me reposer.
- Tu oses faire ça ?, lui dis-je en souriant.
- Oui, parce que j'en ai marre. Je ne comprends rien. D'ailleurs, je dois terminer ces exercices mais je n'y arrive pas. Maman n'est pas contente.
Son regard s'assombrit. Les larmes lui montent aux yeux. Une larme s'écrase sur la feuille. Elle continue :
- Maman me prépare des calculs le soir. Elle me dit : »Travaille , Laetizia, travaille ! » Alors j'invente que j'ai mal à la tête. Je m'allonge dans le fauteuil et je fais semblant de dormir.
Elle se frotte les yeux.
- Où sont tes lunettes ?
- A la maison. Je n'aime pas ma tête avec des lunettes.
- Décidément, ce n'est pas un bon jour. Allez, au boulot.
Elle a mieux travaillé qu'elle ne le pensait reprenant une nouvelle fois courage.
Une machine sonne, fin de la dialyse pour Liloua, bientôt suivie par le débranchement de Laetizia. La musique se tait, tout le monde se calme.
Liloua va bien. Elle fréquente plus régulièrement son école. Malgré tout, je note de plus en plus de décalage entre la matière vue en classe et son niveau scolaire. Avec l'accord de son institutrice, je vois moi-même le programme avec elle. Cela n'est plus possible de rattraper ce qui ne peut l'être en si peu de temps. Je pense que son passage vers l'année supérieure est compromis mais compte-tenu des circonstances, et avec la meilleure volonté du monde, je ne peux pas aller plus vite. Sa maman, bien au courant de la situation, l'encourage beaucoup.
Un nouveau prénom apparaît sur ma liste du service d'oncologie. Il s'agit de Dino, 10 ans, arrivé des pays de l'est il y a quelques années. Sa maman ne parle pas le français mais elle comprend un peu. Dino joue fièrement l'interprète. Sa maman et moi, nous nous regardons d'un oeil complice. Nous nous doutons qu'il traduit ce qui l'arrange. Ses phrases sont beaucoup plus courtes que les miennes concernant l'organisation de sa scolarité. Très mignon.. . Mais subitement très fatigué lorsqu'il s'agit de travailler. Comme je ne le connais pas assez, je n'insiste pas. Pourtant, nous avons du pain sur la planche ! Il n'a plus été à l 'école depuis plusieurs semaines... Il ne s'en plaint pas.
-Tu te débrouilles bien pour parler en français.
- Moi, je sais parler en espagnol et en allemand aussi.
- Vraiment ?
- Oui, parce qu'avant on vivait en Espagne et encore avant en Allemagne mais je suis né en Roumanie.
Situation éclaircie. Il fait partie des gens du voyage comme Enzo qui a définitivement disparu. J'ai une petite pensée triste pour lui.
En tout cas, Dino est très bavard et attendrissant. Sa maman sourit en le regardant parler. Elle a globalement suivi la conversation.
Dino m'explique qu'elle ira à l'école avec le grand frère afin de ramener ses travaux. Tout semble aller pour le mieux.Des vies nomades très éloignées des nôtres. Des enfances difficiles continuellement déracinées, ballottées d'un pays à l'autre
J'ai rencontré d'autres enfants, d'un tout autre milieu, qui eux aussi emménagent et déménagent où les porte le métier de leurs parents. Certains le vivent bien, d'autres moins. Je pense que c'est dur surtout quand ils grandissent. Quand arrive l'adolescence.
Je me souviens d'une jeune fille, Julia, qui m'avait ému par sa tristesse. Elle venait d'arriver des Etats-Unis. Née en Espagne, pays d'origine de sa maman, elle avait vécu sa petite enfance au Brésil. Quand elle a eu trois ans, la famille s'est installée en Italie où est née sa petite soeur. Ils y sont restés pendant quatre ans. Ensuite, ils ont vécu cinq ans à Los Angeles. Les voici à présent en Belgique, le pays du papa. Elle avait appris le français à l'école et se débrouillait plus ou moins bien.
- Quand j'ai su qu'on allait quitter les Etats-Unis pour l'Europe, j'ai fait une crise de nerfs. Je ne voulais pas partir. Je voulais rester à Los Angeles . J'ai beaucoup pleuré. Je ne voulais pas quitter mon école, mes amies, ma ville, ma maison. Tout le monde pense que j'ai de la chance de voyager, mais moi pas.
-Les gens pensent que tu as de la chance parce qu'ils ne se rendent pas compte que tu ne pars pas en vacances. Tu changes de vie. Ce n'est pas pareil.
- Oui, et je dois tout recommencer. Mes amies me manquent et peut-être que je ne les reverrai jamais. Je ne connais pas ce pays. Je voudrais tellement retourner là-bas ! C'est à cause de tout ça que je suis malade. Je n'arrive plus à manger et je ne veux pas aller à l'école !
Julia avait perdu tous ses repères, ses attaches affectives et se sentait tellement loin de chez elle.
Une fois lancée dans le travail, Julia ne s'arrêtait plus. Il fallait la freiner. C'était une très bonne élève, un peu trop perfectionniste. D'ailleurs, la psychologue qui s'occupait d'elle m'avait demandé de me limiter à une heure trente maximum de travail journalier et de ne pas lui laisser des feuilles d'exercices à faire, la scolarité étant devenue un substitut à la nourriture, un refuge, un remplissage mental.
Julia est restée de nombreuses semaines à l'hôpital. Elle allait de mieux en mieux, souriait, se mêlait aux autres enfants mais restait fragile. Un jour, elle m'annonça :
- Je vais bientôt rentrer chez moi... enfin ce n'est pas chez moi. C'est dans le nouvel appartement. Chez moi, c'était à Los Angeles. J'irai à l'école européenne.
J'ai encore revu Julia, de temps en temps, quand elle venait pour ses consultations. Elle évoluait tellement bien. La métamorphose de l'oisillon devenu oiseau. Un jour, prenant courageusement son élan, il s'est envolé et je ne l'ai plus revu.
Six ans ont passé. De temps en temps, il m'arrive de penser à elle. Je me demande où elle vit et si elle est heureuse.
Dans sa chambre stérile, Nalia fait de la température. Elle s'excuse de ne pas pouvoir travailler ! Je lui dis de ne pas s'inquiéter, de bien se reposer. Nous nous reverrons demain. Je la borde dans son drap. Elle sourit rassurée, me salue de la main. Elle m'attendrit.
Je traverse le couloir qui mène en dialyse,Renaud recopie encore un devoir illisible que son institutrice lui a demandé de recommencer. Il soupire, crie à l'injustice.
- Je dois toujours recommencer ! En plus, je ne sais plus ce que j'ai écrit !
Il me pointe un griffonnage que je « devine » péniblement. Son écriture monte et descend des lignes. Les lettres mal formées se pressent les unes contre les autres, grimpent les unes sur les autres.
- Si tu n'arrives pas à te relire, comment veux-tu que nous comprenions quelque chose ?
- Madame m'avait donné le texte pour le recopier mais je ne sais pas où je l'ai mis.
Fouilles intenses dans les méandres du cartable. Je crains le pire ! Oups ! Je rattrape de justesse le bol de céréales qui filait vers ses jambes. Il ne se rend compte de rien ! Je soupire :
- Calme-toi.
Laetizia hausse les épaules, Bénie rit.
Il brandit triomphalement la feuille écornée retrouvée et commence calmement son recopiage.
- Mais Renaud, tu oublies tes accents et les barres des « t » !
Bénie s'exclame :
- Hé ? Léa se fâche un tout petit peu. C'est rare.
Je lui fais des grands yeux pour qu'elle se taise et lui montre son travail du doigt. Liloua m'appelle. Elle me chuchote tout bas dans l'oreille, les yeux coquins :
- Tu fais semblant de te fâcher.
- Chut ! Au boulot Mademoiselle.
Elles sont amusantes. J'essaie difficilement de réprimer un sourire afin de garder mon sérieux.
Renaud ne bronche pas. Il se concentre. Il y met de sa personne. Je lui souris.
DES RIRES ET DES PLEURS.
Léo est installé dans une chambre de l'hôpital de jour. Il me reçoit tout sourire. Aujourd'hui est un jour important, c'est son anniversaire... Une journée rien que pour lui. Bisous, voeux, compliments, cadeaux.. . Quelle joie ! On célèbre la vie.
L'éducatrice lui offre un jeu de construction. Il adore !
-Je le construirai à la maison avec mon papa. Je n'ose pas l'ouvrir ici, j'ai peur de perdre des pièces.
Il me montre fièrement la boîte, puis, attend ses exercices. Je lui propose en riant:
-Tu ne prendrais pas un jour de congé pour ton anniversaire ?
-Non, je préfère travailler quand même. D'ailleurs, j'ai apporté ma trousse aujourd'hui.
-Magnifique !
Je souris. Il me rappelle Rudy...
Certains enfants attendent parfois des événements importants à leurs yeux comme un anniversaire, une fête précise avant de nous quitter définitivement. Ce n'est pas du tout le cas de Léo mais j'ai une pensée furtive pour Rudy qui lui ressemblait beaucoup. C'était un gamin curieux, intelligent, enthousiaste, toujours prêt à travailler. Sa maman attendait un enfant et il s'en réjouissait. Il allait devenir grand frère ! Mais sa santé déclina au fil des mois et il comprit que, malheureusement, il ne le connaîtrait peut-être pas. Il a attendu alors la naissance du bébé pour partir en paix. Il était rassuré : ses parents avaient désormais un autre enfant qui les aiderait à vivre malgré son départ et il leur avait promis qu'il veillerait sur lui.
Son petit frère était né. Il n'a pas eu le temps de le prendre dans ses bras. Ils se sont manqués de si peu .. . manqués pour la vie.
Un déchirement pour les parents qui vécurent presque simultanément, la naissance et la mort d'un de leurs enfants. Un échange cruel de la vie.
J'espère que Léo s'en sortira. Je n'ose pas imaginer le contraire mais comme dirait ma collègue de maternelle :
-Garde cette éventualité dans un coin de ta tête.
Oui, je sais qu'elle a raison. Un petit garçon de 4 ans s'éteint en ce moment aux soins intensifs... Un de ses élèves. Dure journée. Je vais en oncologie.
Dino m'accueille en sautant sur son lit. Trop mignon dans son slip rouge et ses grands yeux.
- C'est la forme, ici !, lui dis-je en déposant mon sac.
- Regarde, on m'a enlevé ma perfusion. Je rentre cet après-midi !
- Bonne nouvelle ! En attendant, ne tombe pas du lit.
Sa maman rit en sortant le cartable de l'armoire. En une semaine, malgré ses chimios, Dino a bien avancé. Un petit tour à la toilette... Diversion organisée avant de passer aux choses sérieuses. Nous pouvons ensuite nous y mettre.
Quarante-cinq minutes plus tard de concentration, une infirmière vient le chercher pour le conduire à un examen. Il lâche tout sur le champ ! Sauvé pour aujourd'hui ! Regards complices et amusés entre sa maman, l'infirmière et moi. Ses gestes sont si expressifs qu'ils expriment clairement ses pensées.
Le temps de ranger mes affaires, je file vers la chambre de Nalia. Le médecin m'avertit qu'elle va mieux mais elle a perdu le moral. Je passe ma tête masquée par la porte de la chambre et lui demande si je peux venir. Elle acquiesce. Je me prépare, m'emballe dans le tablier jaune.
-Coucou Nalia, il fait noir ici. Si on ouvrait les volets ?
Recroquevillée dans son drap elle me répond un tout petit « oui » presque inaudible. Le soleil éclaire la pièce. Elle s 'assied et me raconte :
-Toute ma classe est partie aux sports d'hiver hier. Ils doivent bien s'amuser et moi je suis coincée ici ! On parlait de ce voyage depuis tellement longtemps !
Elle prend une farde dans le tiroir et l'ouvre. Elle me montre des lettres et des dessins, dans des plastiques stériles, que sa maman lui a ramenés de son école.
-Du courrier des élèves de ta classe ? Et tout un tas de dessins !
Elle sourit :
-Oui, ils ont quand même pensé à moi avant de partir.
Elle me lit les lettres de ses meilleures amies et son visage s'éclaircit. Les sombres pensées fondent comme neige au soleil.
-Je vais décorer ma chambre avec les dessins. Et puis, il faudra leur répondre. On peut travailler, me dit-elle, ragaillardie.
Sa maman nous rejoint. Elle regarde les travaux de sa fille et la félicite en l'embrassant.
Le lendemain, la journée commence... avec de bien mauvaises nouvelles. On nous annonce que trois petits rechutent presque en même temps. Quel choc, surtout pour ma collègue de maternelle qui s'est beaucoup occupée d'eux. Comme ils sont hospitalisés, elle passera les voir et rencontrera les parents aussi. L'une des mamans est enceinte et risque de perdre l'aîné. Pas évident du tout .Quelle impuissance face à de tels événements.
La journée continue malgré tout...